Quand les divas se battent en duel...

Quand les divas se battent en duel...

(Soirée musicale à Budapest)

L’idée était pour le moins originale: „Duel baroque de divas”, tel est le titre d’un concert récemment donné au Palais des Arts de Budapest. A ma gauche, la soprane allemande Simone Kermes; à ma droite, la mezzo colorature américaine Vivica Genaux. Toutes deux amies à la ville, ici confrontées à la scène. Et quelle confrontation! Les murs du Palais des Arts en tremblent encore.... Pour rythmer leur joute, en guise de gong: une Capella Gabetta, ensemble jouant sur instruments anciens aux merveilleuses sonorités.

 

 

Telles les Cuzzoni et autres Bordoni qui en firent voir de toutes les couleurs au pauvre Händel, c’est à laquelle des deux tiendra le plus longtemps la note la plus haute - ou la plus basse -, laquelle offrira la tessiture la plus large, fera au mieux vibrer sa voix, chantera au plus vite, saura nous faire frémir par d’irrésistibles roucoulades ou au contraire nous tirer des larmes par de longs et langoureux lamentos...

La „vainqueresse”? Aucune, ou plutôt si ! Les deux ex-aequo. Mais le grand gagnant dans l’histoire fut le public. Un public enthousiaste, voire surchauffé sur la fin (malheureusement un peu trop clairsemé... (*)). Au programme de l’épreuve: des compositeurs italiens et allemands du début-milieu du XVIIIème, tels, outre Händel, Hasse, Porpora , Bononcini et confrères: deux ouvertures, deux duos et puis des arias. Les duos concluant chacune des deux „mi temps”, ou si vous préférez, chacun des deux „rounds”. Le tout avec un jeu de scène animé et distrayant, nos deux stars étant de surcroît enveloppées dans des robes à crinoline aux formes délirantes . A titre d’exemple: le duo concluant la première partie nous les montrait chaussées de gants de boxe, se cognant et crêpant joyeusement le chignon tout en nous servant leurs rocoulades et contre-ut.

De plus, toutes deux belles à ravir. Et quelles voix! Et quel contraste, également. La brune (Vivica Genaux) sage, plutôt réservée, toisant sa rivale avec une arrogance meurtrière. L’autre, la soprane blonde (Simone Kermes) déchaînée, sautillant en tous sens, débordant de vitalité.

Mais, le pompon, cerise plutôt inattendue sur le gâteau, nous fut servi à la fin des bis. Prises par je ne sais quel vent de folie, ces dames, sautant allègrement trois siècles, se transformèrent en vedettes du show business pour nous servir coup sur coup trois chansons du groupe...Abba ! Dont la fameuse „Give me your love ♫...” Incitant le public à participer, comme à l’Olympia, au spectacle, avec la complicité des éclairagistes qui plongèrent l’honorable salle dans une ambiance de disco. On pouvait admirer au passage la capacité de l’orchestre à s’adapter et je dois avouer que cet accompagnement de musique pop en stradivari, flûtes à bec et autres viloncelles d’époque m’a bien séduit. Une initiative bienvenue pour dépoussiérer, désacraliser cette musique baroque qui en intimide plus d’un.

Et pour terminer la soirée sur une note romantique, nos deux divas se réconciliant dans une étreinte chaleureuse: la belle barcarole d’Offenbach „Belle nuit, O, nuit d’amour..” Et oui! Sur la lancée d’une si belle soirée, la nuit ne pouvait être que bénie...

(Parisiens! Vivica Genaux et Simone Kermes s’affronteront le 21 janvier prochain sur le ring du Théâtre des Champs-Elysées. Les paris sont lancés!)

Pierre Waline

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