Le coin des classiques

Le coin des classiques

L’un des grands noms de la littérature hongroise de l’entre-deux-guerres, Dezsô Kosztolányi –(1885-1936) a publié le 18 mai 1930 dans le quotidien Pesti Hírlap un court billet curieusement intitulé « Aki tudja a francia nyelvtant… » (« Celui qui sait la grammaire française… »). En quelques phrases, Kosztolányi soumettait à ses lecteurs une réflexion sur la langue française qui a probablement moins surpris les contemporains qu’elle ne surprendra quatre-vingt ans plus tard les lecteurs de nos jours. Ce fut un éloge, par français interposé, de la fameuse « clarté », dont on a fait, depuis Rivarol (18e siècle), la qualité essentielle de la langue française : Ce qui n’est pas clair, n’est pas français. Thèse tout à tour obstinément soutenue et violemment discutée depuis plus de deux cents ans… Mais laissons la parole à l’auteur hongrois :

 

 

Celui qui maîtrise la grammaire du français devient par là non seulement plus intelligent, mais même plus honnête. C’est une langue qui vous purifie sur le plan intellectuel comme sur le plan moral. Elle vous empêche de mentir. Ce n’est pas que l’on ne puisse jouer la comédie en français, on y parvient même avec peut-être plus d’élégance que dans d’autres langues, mais pour ce qui est de mentir, de donner le change, bref de vouloir paraître meilleur, plus profond, plus original qu’on ne l’est, c’est en effet impossible. On ne tarde pas à découvrir l’artifice. On a affaire, par exemple, à quelque présomptueuse philosophie, à quelque charitable imposture, à une vacuité qui se donne de grands airs, et on essaie de traduire cela en français. Impossible. La bêtise saute tout de suite aux yeux. Cette langue est trop noble pour ne pas résister, pour ne pas rejeter de pareilles choses. Aux yeux des Français, tout ce qui est barbare, insipide et sans esprit « n’est pas français ». Chez eux, grammaire, stylistique et éthique sont une seule et même chose.

 Le texte sous le titre Éloge de la langue française figure, dans ma traduction, dans le Patrimoine littéraire européen.  Nombreuses sont les réflexions de Kosztolányi sur la langue, en général, et les langues étrangères en particulier. La « clarté française » a trouvé en lui l’un de ses meilleurs propagateurs en Hongrie.

 Traduction inédite. - Nyelv és lélek [= Langue et âme] / recueil d’articles établi par Pál Réz Budapest : Szépirodalmi Könyvkiadó, 1971. - [p. 88].

Patrimoine littéraire européen (Anthologie en langue française en Auteurs européens du premier XXe siècle, t. 1, p. 559-560 16 volumes, sous la direction de Jean-Claude Polet, Paris-Bruxelles, De Boeck Université, 1992-2002 : Traduit par Tivadar Gorilovics). 

Tivadar GORILOVICS

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