Ego sum captivus gallicus

Ego sum captivus gallicus

Le centenaire d’André Lazar

C’est le titre d’un ouvrage d’André Lazar parlant des prisonniers de guerre français, évadés et accueillis en Hongrie. Nombreux sont les livres et les essaies de l’écrivain et historien littéraire dont le centenaire a été célébré et dans sa ville natale Biharnagybajom et au Musée littéraire Petőfi à Budapest. En France on connait ses publications signées André Lazar et en Hongrie signées par Bajomi Lázár Endre. Pour son oeuvre et pour les liens qu’il a créé entre la France et la Hongrie une décoration française, le Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres lui a été attribuée. Son livre Les Hongrois de la Résistance a été préfacé par Vercors en France, et L’espoir de Malraux est connu dans sa traduction en Hongrie.  De grands auteurs français ont été révélés grâce à ses adaptations. Des passages de Quenau traduits par Bajomi ont été récités par Judit Havas au Musée littéraire.

Après le beau discours de László Lakner du Musée Déri de Debrecen c’est le fils Iván Bajomi qui a pris la parole au Musée littéraire Petőfi, suivi de celui de László Lator et de ceux de ses amis Csaba Nagy et Claude Schkolnyk dont nous publions le témoignage émouvant.

 


 

André Lazar

L’histoire d’une rencontre.


En 1974, André Lazar s’est intéressé aux Hongrois qui ont participé à  la Commune de Paris et, suite logique, aux proscrits français  réfugiés en Hongrie après celle-ci. Pour ses recherches en France il s’est adressé au romancier Armand Lanoux avec qui il entretient  par correspondance des relations  amicales. Grâce à celui-ci, il entre en contact avec le sculpteur et écrivain Noël Tinayre, descendant d’une famille de communards  qui trouva refuge en Hongrie pour plusieurs années. La concrétisation   de leur correspondance riche et volumineuse est un premier article dans Les Nouvelles Etudes Hongroises   de 1975 «  Les proscrits de la Commune en Hongrie » , un ouvrage en 1980 , Arpadine , ainsi qu’un article , La comtesse et le communard. sur l’accueil que fit la comtesse Emma Teleki de Gerando  aux réfugiés dans son salon littéraire de Budapest.

De mon côté, après un livre, Le passage du témoin, en 1977 et une maîtrise sur la MOI , concernant tous les deux la Résistance française des immigrés communistes  dont de nombreux Hongrois, j’entame un doctorat sur ces même proscrits de la Commune qu’une belle rencontre avec Noël Tinayre m’a fait découvrir. Ce dernier me met en relation avec son correspondant hongrois qui devient le mien .

Dans ma première lettre du 14 juin 1984, je remercie A. Lazar « de m’avoir donné un certain nombre de directions de recherche et fait gagner un temps considérable ». J’y fais aussi allusion à nos connaissances communes parmi les anciens résistants hongrois. C’est en effet  l’année de la parution de son livre  Tramontana  sur  «  Les engagés volontaires hongrois » dont nombreux  avaient combattus dans les rangs des FTP-MOI  aux côtés de mes parents et amis.  Je déplore de ne pas l’avoir rencontré lors de son dernier et trop court séjour.

 Enfin, le 19 octobre 1985, il vient dîner chez moi malgré son emploi du temps chargé. Le matin en effet, il a rencontré à l’Assemblé nationale, Pierre Godefroy, député RPR , ancien prisonnier  évadé de Pologne et réfugié en Hongrie dont les souvenirs « Comme la feuille au vent » étaient parus dans le recueil  « Ego sum Galicus captivus »   André Lazar en a préfacé la version hongroise   traduite par Margit Szoboszlai, son épouse.

C’est l’effervescence,  la première rencontre avec ce grand écrivain hongrois que je veux honorer . La soirée lui  paraît  digne d’être rapportée dans son journal intime : dîner chez Claude Schkolnyk « , jeune femme jolie, maquillée…gratin de fruits de mer, rosbif, fromage, tarte aux abricots… » Il découvre le kiwi, ravi en mange deux et en emporte un pour le faire connaître à sa famille qui ne le verra  jamais. Je lui offre mon DEA dans lequel j’ai  mentionné Arpadine. Nous le raccompagnons à son hôtel   Sèvres-Vanneau où il a ses habitudes depuis des années

Son érudition me laisse admirative, c’est un homme ouvert, curieux de tout, gourmand de la vie et je suis touchée par sa passion  de la France et sa volonté de créer des liens  entre nos deux pays .  Nous avons beaucoup d’affinités.

L’année suivante le 8 juin, après avoir rencontré Alexandre Trauner, le décorateur hongrois des films de René Clair et l’ami de Jacques Prévert, il revient  déjeuner en toute simplicité dans ma cuisine ouverte sur le balcon fleuri :  il apprécie l’apéritif : du Porto, les fruits de mer (je sais qu’il en raffole) et surtout la mangue. Cependant, il m’avoue préférer à tout la soupe de Margit. Ah, Margit ! Il est fatigué et sa Hongrie lui manque. Il  fait un petit somme sur le canapé bleu de mon séjour et repart avec un sac de fruits pour accompagner la  baguette fraîche qui est  l’essentiel de son dîner dans sa petite chambre d’hôtel .  Il me promet « toute son aide et même de l’argent » pour les deux mois de séjour que j’ai obtenus du ministère français des Affaires Etrangères . Le lendemain, nous nous retrouvons à l’Institut  Hongrois où il me dédicace son   « Voyage au Pays des Magyars » «  à Claude, son ami fidèle ». A cette occasion, il me fait connaître l’héritière de la comtesse Emma Teleki, Félicie de Gérando qui deviendra une  amie.  La famille de Gerando lui a grand ouvert la porte de son appartement et Félicie renoue avec ses racines hongroises grâce à lui. Sur ses conseils, elle s’inscrit aux Langues O pour apprendre le hongrois et commence un doctorat sur les relations entre le comte Joseph Teleki et Victor Hugo. Elle  fera par la suite le voyage à Budapest  et  se sera pour la vie.

Une fois à Budapest, je fréquente assidument le domicile du couple Lazar qui reçoit tous les lundi (le lundi est à l’époque le jour sans émissions télévisées)  les Français de passage et  des étudiants ou des intellectuels hongrois. On y parle exclusivement le français autour d’un verre de vin ou un café accompagné des pogacsa toutes chaudes de Margit. J’y fais la connaissance de George (Gyuri) Diener,  Français  petit fils d’un grand peintre hongrois et qui écrira quelques années plus tard l’histoire de l’Institut français à Budapest avant d’entrer dans la carrière.

La rencontre avec André Lazar,  puis mon séjour en Hongrie  jouent un rôle décisif pour mon doctorat, mais aussi pour mon avenir. Notre amitié se renforce et  après sa mort,  sa famille devient un peu la mienne et  je choisis de venir travailler dans ce pays qui  a déjà  ouvert ses bras à tant de réfugiés. André Lazar a  travaillé avec acharnement au rapprochement de nos deux pays à une époque où la politique ne favorisait pas  toujours les échanges , ce qui demandait aussi du  courage.  Les nombreux étudiants à qui il a transmis sa passion  perpétuent maintenant la tradition des échanges culturels entre la France et la Hongrie. Merci à lui.

Claude Schkolnyk

Photos : Demeter Balla et Bálint Bajomi

 

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