Quand la cour de Versailles s'invite à Budapest...

Quand la cour de Versailles s'invite à Budapest...

Décidément, nos compatriotes ont la cote, ces temps-ci, auprès des formations musicales hongroises. Après le choix de la France comme pays invité par l’Orchestre du Festival d’Iván Fischer (Budapesti Fesztiválzenekar –BFZ) dans le cadre de l’opération „Passerelles sur l’Europe” (*), c’est au tour de la formation Orfeo, groupe spécialisé dans les répertoires de musique baroque et classique, de choisir un programme de musique française pour fêter ses 25 ans.

 

 

Sous le titre „Musiques pour la cour des trois rois” (Louis XIV, XV, XVI), l’orchestre nous proposait un programme regroupant des extraits d’opéras français des XVIIème et XVIIIème siècles: Lully, Rameau, Leclair, Mondonville, Gluck, Destouches, Royer, Dauvergne, Philidor et autres. Ceci en étroite collaboration avec son partenaire permanent, le Centre de Musique baroque de Versailles (CMBV). Le CMBV qui nous présente ainsi le programme „Des airs brillants, des chœurs d’apparat, des pièces orchestrales chamarrées témoigneront de la splendeur de la musique versaillaise pendant plus d’un siècle.” L’orchestre hongrois - jouant sur instruments d’époque - était accompagné par sa chorale attitrée, le chœur Purcell, ainsi que de deux chanteurs français, le baryton Thomas Dolié et la soprano Chantal Santon-Jeffery, auxquels se joignait la jeune soprano hongroise Emőke Baráth. Ces deux dernières déjà entendues - et appréciées - à plusieurs reprises sur la scène de Budapest. Le tout sous la baguette de son fondateur, György Vashegyi.

 

 

A noter tout d’abord une idée originale. Au lieu de nous offrir une suite, quelque peu fastidieuse, d’arias et de chœurs isolés, le tout nous était présenté fondu dans une sorte d’opéra imaginaire, sous le titre „Opéra pour trois rois”. Regroupant non moins de quinze compositeurs....et 28 extraits d’opéras et de ballets.  Autre mérite des organisateurs: à côté de noms connus, tels que Gluck, Rameau ou Lully, nous étaient également présentés des airs de compositeurs presque totalement ignorés du grand public, tels Destouches, Royer ou encore Philidor. Pour beaucoup en première audition sur la place de Budapest. Pour assurer la cohésion de l’ensemble et une certaine continuité dans l’action, les intervenants se sont vu attribuer en la circonstance un rôle symbolique conservé tout au long de la représentation, à savoir la Gloire (Emőke Baráth), la Renommée (Chantal Santon-Jeffery) et Appolon (Thomas Dolié).

 

 

Avant de parler des musiciens, un petit coup de chapeau revient tout d’abord au directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles, Benoît Dratwicki, qui a réalisé ce montage. Car, à l’écoute, l’ensemble sonnait de façon parfaitement cohérente, alternant avec bonheur ouvertures, intermèdes orchestraux, chœurs, airs, marches et musiques de ballet, avec même un brillant final (extrait des Indes galantes). Comme dans un opéra en deux actes. Et pourtant, rassemblant, rappelons-le, des œuvres de non moins de quinze compositeurs différents recouvrant une période de plus d’un siècle.

 

 

Au plan musical, les trois solistes se sont montrés au-dessus de tout éloge, comme l’on pouvait s’y attendre, notamment la soprano hongroise Emőke Baráth, déjà mille fois entendue sur la scène hongroise et dont j’admirerai toujours – outre le charme – cette voix si claire et si pure. Mais c’est peut-être au chœur que revient la palme, encore que tous, chanteurs, orchestre et chœur, se soient montrés de haut niveau. Un choeur dont on aura admiré entre autres la remarquable clarté, peut-être due à un effectif relativement réduit, et une parfaite diction. Et les solistes, bien sûr (deux sopranos, un baryton), les deux chanteurs „versaillais” (Ch. Santon-Jeffery, Th. Dolié) étant d’ailleurs déjà connus du public hongrois.

 

 

Quant à l’orchestre Orfeo, nous avons déjà eu l’occasion d’en vanter les qualités, notamment cette si belle clarté des timbres et, grâce à la baguette de son chef György Vashegyi, cet entrain, ce ton vif, mais nullement agressif, qui contribuait à animer le tout.

 

 

Avec, pour ma part, quelques découvertes, parfois surprenantes, tel ce merveilleux dialogue entre la soprano (E.Baráth) et le chœur dû à la plume de Jean-Marie Leclair („Viens, amour”, extrait de Scylla et Glaucus), mais aussi, dans un tout autre genre, ce chœur de l’Italien Niccoló Piccinni (Atys), qui passait pourtant - à tort – à mes yeux comme le symbole de l’opéra italien, et pourtant s’inscrivant ici dans la plus pure tradition française (**). Et puis, pour ne rien gâter, un concert – pardon... un „opéra”… – qui fut l’occasion de réentendre des grands classiques du genre, tels des extrait du merveilleux „Iphigénie en Tauride” de Gluck ou encore ce ballet des „Indes galantes” de Rameau (Air des Sauvages).

 

 

Pour un opéra „pour trois rois”, le public hongrois aura, pour le temps d’une soirée, pris place dans la loge royale et, à en juger par les nombreux rappels, y aura pris grand plaisir.

 

 

Un petit coup de chapeau, pour terminer, aux musiciens qui devaient sauter le lendemain dans l’avion pour se produire le soir même au château de Versailles (Opéra royal). Où je les aurais bien volontiers accompagnés...

 

 

Pierre Waline

 

 

(*): cf. „La France à l’honneur au  Palais des Arts  de Budapest” (sept. 2016).

 

 

(**): censées opposer les écoles italienne et française, les œuvres de Gluck et Piccinni suscitèrent à l’époque une vive querelle, en partie attisée par nos encyclopédistes. Mais une querelle dont les deux compositeurs, par ailleurs en bons termes, se tinrent sagement à l’écart.

 

 

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