Porte-voix du monde des Rroms

Porte-voix du monde des Rroms

L’interview de la réalisatrice Katalin Bársony

800 cents Rroms vivent dans des camps de réfugiés installés à Mitrovica, au Kosovo, sur des terrains contaminés par le plomb. C’est l’histoire traitée dans le premier film hongrois qui a jamais été sélectionné pour la finale du Festival International de la Télévision dans la catégorie «grands reportages d’actualité» à Monte-Carlo. Piégés – L’histoire oubliée des Rroms de Mitrovica fait partie d’une série intitulée Mundi Romani projetée sur la chaîne Duna TV menée par la jeune journaliste de télévision Katalin Bársony âgée de 26 ans. Katalin Bársony et son équipe ont traversé le monde d’Israël jusqu’en France pour présenter les différentes communautés Rroms (Tziganes).

 

JFB : Piégés – L’histoire oubliée des Rroms de Mitrovica a été sélectionné pour la finale du Festival de Monte-Carlo parmi les représentants les plus connus de cette catégorie. Comment le public a-t-il accueilli le film?

Katalin Bársony : C’est un festival de catégorie A, cela veut dire que toutes les chaînes du monde peuvent postuler. Vous pouvez imaginer que les budgets sont très différents dans le cas d’un reportage de CNN ou de la BBC et le nôtre qui a été sélectionné malgré tout pour la finale, même si nous n’avons rien gagné. Je pense que tous les films étaient d' une qualité extraordinaire. Ils traitent tous de problèmes de droits humains très sérieux, à l'échelle internationale et sont très actuels; ils ont été déterminants pour l’année 2007 et le début de l’année 2008.

 

JFB : Pourquoi Mitrovica?

B.K : J’ai entendu parler de la crise de Mitrovica en 2004 pour la première fois. Je travaillais à cette époque au Comité des Affaires Étrangères de l’Union Européenne où j’ai réalisé que quand on parlait de l’indépendance du Kosovo personne ne parlait des Rroms, alors qu'ils représentent une grande minorité et que leur culture tzigane y est très forte. En 2005 la BBC et CNN avaient déjà reporté l’histoire tragique des Rroms vivant dans des camps de réfugiés contaminés par le plomb, cependant malgré le scandale international qui a suivi ces reportages rien ne s’est passé pour sauver ces gens à part quelques aides temporaires. Ainsi j’étais très curieuse de voir ces camps quand on a traversé le Kosovo pour tourner un autre film en Serbie et en Macédoine. A la frontière du Kosovo albanais et serbe on a trouvé des centaines de Rroms logés dans ces camps de réfugiés contaminés par le plomb, à un niveau 300 fois plus élevé que le niveau permis. Dans les tentes et les maisons en bois quelques fois neuf personnes vivaient ensemble sur trois mètres carrés. Ce qui est le plus rélvotant c’est qu’ils ont le statut de IDP (Personnes déplacées internes), ce qui veut dire qu’ils n’ont pas de papier. Ainsi ils ne peuvent pas quitter le pays. Probablement on leur refuse ces droits, car cela pourrait ensuite inciter une vague de migration vers l’Ouest. Depuis la guerre yougoslave 200 000 Rroms ont déjà quitté le pays. On renvoie systématiquement des émigrés à partir de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de Grande Bretagne au Kosovo. J’ai rencontré une famille qui devait retourner au camp contaminé par le plomb après huit ans passés en Allemagne où les enfants avaient commencé l’école et s'étaient intégrés à la société.

 

JFB: C’est comme ça que vous sélectionnez les sujets des épisodes en général?

K.B: Quand je me renseigne sur les sujets d’actualité, je récompense mes relations bien incrustées.avec mes ressources financières restreintes Je participe à plusieurs réseaux d’activistes Rroms, mais je profite surtout d’un réseau de 30 ou 35 jeunes avec qui j’ai passé un diplôme de Diplomatie Rrom à Malte. J’ai choisi le Kosovo car c’est un injustice criante en Europe. Mais par exemple on a tourné une autre partie de la série Mundi Romani à «Kunci telep» (la colonie de Kunc), une communauté tzigane existant depuis une centaine d’années à Temesvár, en Transylvanie. Ces Rroms doivent maintenant quitter leurs maisons car il ne peuvent pas prouver leur droit de proriété sur les terrains dont la valeur monte avec la hausse des prix immobiliers en Roumanie. Cependant je tiens toujours à présenter aussi des exemples positifs dans chaque épisode. Par exemple dans notre film sur la Roumanie on a montré des Tziganes «Gábor» (groupe de Rroms d’origine transylanienne – Z.J) bien intégrés dans la société roumaine travaillant en tant que ferblantiers dans des manufactures et pratiquant la religion sabbathienne. Notre film sur les Rroms de Grenade danseurs de falmenco sert aussi à transmettre le message qu’il existe de bons exemples aussi. Il est très important de montrer la diversité de cette population et de ne pas seulement évoquer la misère et la pauvreté par rapport aux Rroms afin de démentir les stéréotypes.

 

JFB : Est-ce que l' image des Rroms est homogène en Europe?

K.B : Les stéréotypes sont tout à fait homogènes: un homme au visage «basané» vole. Les médias renforcent en général ces stéréotypes et tordent en même temps leur image. Selon une étude récente du Fundemantal Rights Agency (Agence de Droits Fondemantaux) les Rroms sont représentés de façon très négative dans les médias européens. Donc la situation des Rroms n’est pas mieux ni en Hongrie ni ailleurs non plus. De nos jours les tensions se concentrent surtout en Italie par rapport à la nouvelle loi sur la migration qui a provoqué des déclarations extrêmement racistes contre les Tziganes dans la presse italienne, pendant que la loi bafoue les droits humains. C’est pour cela que nous avons manifesté il y a trois semaines devant l’ambassade italienne à Bruxelles.

 

JFB: Donc j’imagine que la prochaine fois vous allez tourner en Italie…

K. B: Maintenant nous n’osons même pas aller y tourner. Kosovo n’était pas sûr non plus, mais en Italie plusieurs journalistes parmi mes amis ont été menacés. On doit attendre un peu. Pour le prochain reportage nous allons à Sulukule, une colonie rrome tout près d’Istanbul habitée surtout par des musiciens. On envisage maintenant de démolir ce quartier connu pour ces traditions musicales, bien que la musique turque possède aussi des bases tziganes. Je voudrais aussi voyager à New York où il y de grandes communautés tradionnelles de Tziganes, puis au Nord, en Finlande, en Ukraine et en Russie. Et pourtant, l’avenir de la série Romani Mundi n’est pas garantie malgré les succès inernationaux.

 

JFB : Comment parvenez-vous à vous intégrer dans ces communautés?

K.B : Pour moi c’est facile parce que je suis Rrom. J’ai un passé similaire à mes sujets d’interview, je dois faire face à la même discrimination qu’eux dans la vie quotidienne. Quand je rencontre par exemple une femme tzigane, je lui demande comment je pourrais l’aider. De cette manière je peux entendre des problèmes qu’elle ne dit à personne. Je suis la porte-voix de ces gens à qui personne n’a demandé l’opinion, qui n’étaient qu’une illustration de la misère dans les films. Dans le cas des Rroms de Mitrovica, beaucoup d’autres journalistes ont déjà visité les camps de réfugiés de Kosovo, cependant personne ne leur a donné la parole. Donner la parole et attribuer des visages aux Rroms, c’est le plus important.

Propos recueillis par

Judit Zeisler

 

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