Renaissance

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La chronique de Dénes Baracs

 

Échos de la francophonie

 

 

J’ai retrouvé récemment dans ma bibliothèque un livre d’art grand format, en italien: Le miniature del Rinascimento nella biblioteca de Mattia Corvino – Les miniatures de la Renaissance dans la bibliothèque de Mathias Corvin.

Vous connaissez le sort de ces publications chères, volumineuses et lourdes: on les admire une fois, et après avoir étudié les belles reproductions, on se promet de retourner au texte le moment venu – et quelques années plus tard vous les retrouvez exactement à la place où vous les avez posées le premier jour.

J’ai regardé avec étonnement le beau livre: c’est un souvenir familial. C’est ma mère qui a traduit jadis le texte de l’historien d’art Ilona Berkovits du hongrois en italien. Née à Fiume – le Rijeka d’aujourd’hui, qui en son temps faisait partie de la monarchie austro-hongroise – ma mère a fréquenté une école italienne, la langue de Dante était sa deuxième – ou première – langue.

Elle était très fière de cette traduction. Eh oui, j’avais promis de lire le texte, mais vous savez, on a tant de choses à faire… Hélas, je ne pourrai plus détailler mes impressions à la traductrice.

Je ne crois pas aux messages de l’au-delà, mais si quelqu’un avait voulu me faire lire ce texte, c’était le moment: 2008 est l’année de la renaissance en Hongrie, avec toute une série d’expositions brillantes, représentations théâtrales, publications fascinantes et concerts. Je devais donc lire d’abord le livre retrouvé pour pouvoir le raconter ensuite: une contribution familiale à cette initiative culturelle.

Parce que c’est lui, le roi Mathias Corvin, appelé par les Hongrois “le Juste” qui est au centre de l’année de la renaissance en Hongrie. C’est il y a 550 ans qu’il accéda au trône de ce royaume menacé par un ennemi extérieur puissant, les Turcs, et en proie aux luttes intestines – son frère aîné fut décapité et lui-même avait été emprisonné peu de temps auparavant par une famille rivale…

Pour nous, c’est lui qui a introduit (surtout par ses deuxièmes noces avec Béatrice) la culture dite (ultérieurement) de la renaissance. En Europe cette période couvre deux à trois siècle, du XIVe au XVIe – les historiens se disputent encore aujourd'hui sur cette question. Souvent, les filles des maisons royales ou des aristocrates puissants d’Italie, qui épousaient des souverains à travers l'Europe, ont apporté l'érudition, les fines manières et les préceptes humanistes sur d’autres terres. Je pense ici à Béatrice d’Aragonie dans le cas de la Hongrie, ou à Catherine de Médicis quelques décennies plus tard dans le cas de la France. (Je ne parle pas ici des complots et des assassinats de cette période mouvementée, car cette tradition est beaucoup plus ancienne.)

Le nouveau roi a bâti très jeune son empire sur une diplomatie brillante, une armée puissante (et professionnelle) et sur cette culture de la renaissance alors en pleine essor en Europe. C’était le retour aux sources de l’Antiquité, redécouverte dans l’architecture, la littérature et les arts en général. C’était aussi une nouvelle conception humaniste du monde, plus ouverte que celle de l’église jusqu’alors toute-puissante, une nouvelle légitimation du pouvoir central.

Le roi Mathias avait besoin de la culture, du savoir, des livres. Il a fait de Visegrad – une cour royale parmi tant autres – un centre qui brilla par les plus éminents poètes, historiens ou architectes de son temps, éduqués pour la plupart en Italie. Le symbole et le sommet de toute sa politique culturelle fut sa bibliothèque. Sa fameuse Bibliotheca Corviniana était constituée à son apogée de plusieurs milliers de pièces manuscrites, richement décorées, et qui traitaient des sujets les plus vastes en vogue à l'époque: histoire des grands de l’Antiquité, littérature, techniques, architecture, astronomie, etc.

En établissant cette collection, le roi ne se limita pas à acheter des oeuvres, il en commandita certaines et fit établir à Buda un atelier où les meilleurs spécialistes du genre, venus de l’Italie ou ayant eu pour maître des Italiens, ont copié et décoré ces merveilles. En lisant l’histoire des miniatures de la renaissance, je fais connaissance avec les différents copieurs, décorateurs, miniaturistes, relieurs, qui ont travaillé pour la Bibliotheca Corviniana, en y ajoutant les couleurs locales et des éloges du royaume.

Voilà une miniature très belle qui représente l’entrée des Hébreux sur la terre promise: il s’avère que le Canaan où coule le lait et le miel n’est autre chose que Visegrad, avec le fleuve et le château royal – vu depuis le nord, en venant d’Esztergom. L’analyse d'Ilona Berkovits qui mène à cette constatation est absolument brillante et je m’imagine quel devait être le plaisir de ma mère – qui s’enthousiasma toujours pour les choses érudites - de traduire cette longue et surprenante enquête.

Coïncidence curieuse: j’écris ces lignes dans ma petite maison de campagne, à mi-chemin entre Buda et Esztergom, proche de Visegrád. Il y avait donc un temps où c’était une place toute proche du Canaan de toutes les richesses.

Hélas, cet âge d’or n’a pas duré longtemps. Après la mort du roi Mathias "le juste" en 1490, le pays se désintégra, les Turcs et la maison des Habsbourg s’emparèrent de ses différentes parties. Et le Canaan, s’il avait existé ici un jour, a disparu depuis très longtemps.

En outre, la Bibliotheca Corviniana fut dispersée et la plupart des oeuvres furent perdues.

Seuls 165 manuscrits "corvina" ont survécu aux vicissitudes de l’histoire. Répertoriés, ils sont éparpillés dans quelques cinquante musées et bibliothèques du monde entier. La Hongrie possède quarante-trois manuscrits très prisés.

Ainsi, même diminuée et dispersée, la bibliothèque du roi Mathias Corvin existe encore: on l’a ressuscitée dans ce beau livre sur les miniatures. Une renaissance culturelle – et dans mon cas, familiale.

 

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