Un nouveau locataire Fő utca: François Laquièze

Un nouveau locataire Fő utca: François Laquièze

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Le nouveau directeur de l'Institut français, 58 ans, décrit par petites touches son parcours jusqu'à Budapest. Curieux de ce pays, il évoque les grandes lignes de sa future mission.

On n'attendait rien de particulier de ce rendez-vous pris à l'Institut français avec son tout nouveau directeur. Si ce n'est peut-être, après avoir salué quelques têtes connues dans le dédale des couloirs familiers, de croiser l'ombre de son prédécesseur... Et puis il s'est présenté comme par surprise, poignée de main généreuse et aveu de faiblesse face à cet exercice du portrait à dresser. L'ordre chronologique est bientôt rompu pour entrer avec plaisir dans moult digressions, sur l'Histoire en particulier, mais bien peu sur la Hongrie qu'il avoue encore mal connaître. Quoique volontiers loquace, l'homme est plutôt sobre et mesuré, ce qui est tout à son honneur quelques semaines à peine après son arrivée à Budapest, loin d'être à ses yeux un terrain conquis d'avance. Un article paru dans le bien informé Népszabadság du 16 juillet dernier nous révèle que le nouvel attaché culturel a passé son enfance entre le Sénégal et l'Algérie où son père était fonctionnaire. L'intéressé confirme, tout en nuançant ce que le quotidien hongrois décrivait comme un parcours personnel "plein d'aventures". «Je suis parti au Sénégal à l’âge de 4 ans, en 1954, et j’y suis resté jusqu’en 58. Puis, je suis reparti en Algérie avec mes parents entre 1961 et 1965. Ensuite j'ai fait toute ma scolarité à Nice jusqu'au début de mes études supérieures de philo que j’ai finies à Paris au début des années 70'». Philo ? «Oui, j’avais choisi de faire de la philosophie, ce qui m’a passionné mais qui était ensuite difficile à enseigner». Professeur dans un lycée alsacien, c'est son premier contact avec cette région où il reviendra quelques années plus tard. «C'est une région que j’ai bien aimée. Qu'elle soit différente de mon parcours et marquée par son histoire germanique, tout cela m’a bien intéressé». Il passe ensuite trois ans à l’ENA en tant qu’élève-administrateur de la Ville de Paris et choisit d'effectuer un stage dans l’administration allemande. «C’est là que j’ai approfondi mon allemand puisque j’ai travaillé pendant 4 ans au ministère de l’intérieur du Land de Schleswig Holstein, dans le nord de l’Allemagne. Une région où d’habitude les Français ne vont pas», sourit-il. «Sept ans plus tard, j'ai choisi d'effectuer une autre expérience allemande au Sénat de Berlin, c’est-à-dire l’exécutif du Land de Berlin Ouest à l’époque, entre 1988 et 1991». C'est peut-être là la plus belle part "d'aventures" de sa carrière puisqu'il vit en direct et en première ligne le grand basculement de l’Europe centrale. Son passeport diplomatique sera son sésame le plus efficace pour circuler dans toute cette zone, surtout en Pologne, qui n'est qu'à quelques kilomètres de Berlin, mais aussi en République tchèque: «J’y étais le week-end de la fameuse révolution de velours et je n’ai d'ailleurs pas bien compris ce qui se passait... Je me suis également rendu en Hongrie à l’époque, mais plus tard, en mai 90. Je me rappelle, on enlevait les plaques avec les étoiles rouges et les soldats soviétiques vendaient des affaires sur les marchés… C’était une époque passionnante !». Il a la chance de maîtriser l'allemand et de pouvoir ainsi rentrer en contact avec la population. «Autant l’appareil politique était dur, avec notamment la Stasi qui espionnait tout et tout le monde, autant il y avait quand même une certaine chaleur humaine, un esprit d’entraide, chacun essayait de créer ce que l’on appelait une "niche" privée, où l’on avait ses amis, où l’on pouvait dire du mal du régime. Après, l’on a su que tout cela n’était pas non plus si idéal car certains travaillaient pour la Stasi au sein de ces cercles que l’on croyait très unis… tout le monde se surveillait». «Mais j'ai connu cela à un moment où tout basculait, avec d’abord l’été 89: dès que la Hongrie a ouvert ses frontières, on s’est dit que cela n’allait plus pouvoir durer et de fait, ça a vraiment basculé en novembre 89. Et là, tous les gens qui l’on vécu le disent, c’était une période de grande euphorie, d’espoir. Ce n’est qu’après qu’est venue la désillusion, voire le ressentiment: on a beaucoup reproché aux Allemands de l’Ouest de prendre en charge l’administration de l’Allemagne de l’Est, un peu comme des conquérants. Mais les Allemands de l’Est, qui en ont souffert à long terme, l’ont dans un premier temps presque demandé, ils étaient tellement désemparés devant des mécanismes qu’ils ne connaissaient pas, que ce soit l’économie de marché ou la démocratie. C’est ce qui m’avait marqué : j’étais par exemple dans la première délégation que le Sénat de la ville de Berlin Ouest avait mandaté pour rencontrer leurs homologues de Berlin Est. Je m’attendais alors à une réunion paritaire, à ce que les uns et les autres exposent la situation telle qu’ils la vivaient, or les Allemands de l’Est étaient comme anéantis, paralysés, ils attendaient les ordres. Je crois qu'il était difficile de la part de l’Allemagne de l’Ouest de ne pas faire ce qu’elle a fait. En même temps je comprends bien le ressentiment qui est venu plus tard contre l’orgueil et l’assurance des Wessi. Lorsqu’on a connu la façon dont fonctionnaient ces sociétés de l’Est, qui étaient beaucoup plus lentes, mais aussi sans doute moins concurrentielles, plus tranquilles, on peut comprendre que les gens n'aient pas du tout été préparés à ce choc de la société de consommation. C’est aussi vrai en Hongrie d’ailleurs». De retour en France, il entre à la direction des affaires culturelles de la Mairie de Paris. «Jacques Chirac était alors maire de Paris et il nous a demandé d’accompagner la politique d’ouverture vers les grandes villes d’Europe centrale. Un peu partout en Europe de l’Ouest on découvrait cette terra incognita et on essayait de les aider… Quand on y repense il y avait sans doute un peu de paternalisme là-dessous : "on va vous aider à devenir comme nous", mais il y a eu des avancées incontestables et il était important pour ces pays d’accéder à un certain niveau de consommation, malgré les effets pervers, l’endettement, les inégalités. Bref, on s’est rapproché, incontestablement». Après une première expérience en tant qu'attaché culturel à Vienne entre 2000 et 2004, il hésite à enchaîner sur une autre mission à l’étranger. Mais Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la culture, lui propose de devenir directeur régional en Alsace. «C’est une expérience que j’avais envie de faire car c’est un poste où l'on est au confluent de beaucoup de choses. Si le travail de base est d’appliquer et de faire vivre en région les directives du ministère de la culture, la politique culturelle en France aujourd’hui est de moins en moins décrétée par le ministère de la culture seul. C’était d’ailleurs le but de Malraux lorsqu’il a créé ce ministère : entraîner les collectivités territoriales, les villes, à s’intéresser à la culture». C’est désormais le cas aujourd’hui car les régions dépensent deux fois plus que le budget du ministère (soit 7 milliards d’euros contre 3,5).

 

De l'Alsace à la Hongrie.

«D’une part le poste était vacant, d’autre part je souhaitais aller dans un pays qui ne me soit pas complètement inconnu. De plus, Budapest est un poste plus important que Vienne en terme de moyens». S'il ne présentera son programme de mission qu'en février 2009, quelques grandes lignes semblent toutefois se détacher dans son discours. D'une part l'importance à ses yeux de la coopération décentralisée. «Comparer les expériences, apprendre les uns des autres et échanger des expériences cela permet aussi de faciliter les exportations. C’est un levier qu’il faut avoir à l’esprit». «Au-delà de la coopération, on sait bien que toutes les grandes institutions culturelles disposent d'une ouverture internationale et c’est l’une des raisons qui rend ce poste intéressant. Certes, cela fait 20 ans que les frontières sont ouvertes mais on peut encore avoir ici un rôle de facilitateur, contrairement à l'Allemagne ou à l’Italie où les relations sont plus anciennes et donc plus directes entre les institutions». Parmi les domaines qu'il souhaite mettre en avant durant sa mission à Budapest, il évoque l'architecture et l'urbanisme, deux aspects trop souvent absents des programmes des centres culturels à l'étranger. Là encore, l'idée est de partager un travail de réflexion avec des institutions locales, les écoles d'architecture par exemple. «La France a un vrai savoir-faire dans ce domaine et nos architectes sont assez ouverts pour venir parler de leur travail». Architecture, aménagement du territoire, l'important est que les gens se rencontrent, mais aussi que soient évoqués les grands défis en matière d'architecture. Pour cela, il faut «sortir du milieu fermé des architectes pour s'adresser au grand public et sensibiliser les décideurs». De plus, l'architecture aujourd'hui est au centre de nombreuses problématiques, qu'il s'agisse de développement durable, d'économie d'énergie, etc. C'est pourquoi il souhaiterait mettre l'accent sur ce domaine, sous réserve que les institutions locales manifestent un certain intérêt pour ces questions. Sa doctrine, souligne-t-il, est de «rencontrer et comprendre pour démarrer une dialectique. Cela ne signifie pas qu'il faille rester passif, mais plutôt ouvrir des perspectives».

Le "débat d'idées" en est une autre. «C'est une tradition nationale d'une grande richesse». Là encore il faut avancer prudemment et analyser le terrain, mais une chose est sûre: «la France se positionne comme une interlocutrice importante et intéressante à bien des égards». Ceci est d'une part vrai dans ses relations avec ses interlocuteurs hongrois, mais aussi avec d'autres instituts culturels. «On ne peut pas ignorer ce que font les autres». La France a en outre la chance de disposer «d'un outil magnifique avec cet Institut».

Malgré le regroupement immobilier, le déménagement de la librairie Latitudes et la fermeture du café Dumas ? A ce propos un scoop: ce dernier va réouvrir, glisse François Laquièze. Quant au reste, il a bien conscience que la période n'est pas des plus fastes mais met en avant un autre volet de la coopération: la programmation hors les murs. «Je prends très sereinement cette volonté du ministère des affaires étrangères de consacrer moins d'argent à la pierre et plus aux projets». Lors de sa mission en Autriche il a ainsi fermé deux des quatre instituts français, une partie des économies réalisées étant alors récupérée par Vienne. «L'Institut de Vienne était vraiment une vitrine et c'était très important. Car, malgré l'Europe, nos sociétés ne sont pas encore assez interpénétrées, il faut encore des animations et ... des animateurs, qu'il s'agisse de la société civile ou des institutions».

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