Le Met à Pest

Le Met à Pest

Échos de la francophonie

 

La chronique de Dénes Baracs

 

Dans cette saison 2008-2009, je fréquente l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur des opéras: le Metropolitan de New York, Met pour les connaisseurs. Dix soirées de rêve, qui comprennent entre autres deux excellentes oeuvres classiques françaises.

 

 

New York, c’est loin, et jusqu’ici je devais me contenter de suivre les transmissions en directes à la radio. C’est bien, la mélodie arrive ponctuellement, ce qui est déjà grand-chose, mais il manque l’image, le décor, l’expression des artistes. Il manque le jeu, la conception parfois choquante du metteur en scène, la situation dramatique qui explique la passion des chanteurs.

Or si l’un des ingrédients manque, ce n’est plus vraiment de l’opéra, et ce même si vous êtes dans la salle. C’est ce qui m’est arrivé avec La flûte enchantée de Mozart que j’ai vue à l’Opéra Garnier à Paris, avec Natalie Dessay en Reine de la nuit et Ivan Fischer, entre autres, chef d’orchestre. Une grève du personnel troubla justement la représentation – l’orchestre, les chanteurs étaient là, mais toute la grande et ingénieuse machinerie théâtrale était bloquée, des décors changeants ne restait que le décor d’une seule scène. Ce fût un squelette d’opéra malgré la participation de grands artistes.

L’autre face de la médaille: la saison dernière, la même Natalie Dessay a fait sensation au Met dans le rôle de Lucia de Lammermoor. La ville était pleine des affiches montrant son portrait avec le slogan You’d die to see her die – Vous mourrez d’envie de la voir mourir (dans son rôle tragique sur la scène du Metropolitan). J’ai écouté cette représentation à la radio – j’ai compris que cela devait être magnifique, mais je ne pouvais voir le moment de la folie de Lucia et sa mort tragique.

L’opéra est un art total, comme dirait Richard Wagner, mais c’est en même temps un art totalement irréel. Raconter une histoire en chantant, cela ne va pas de soi, il vous faut donc un public qui soit partenaire, ignorant délibérément l’absurdité de la situation, un public qui pleure quand le héros meurt sur scène et l’ovationne une minute plus tard quand il s’incline devant les spectateurs.

Eh bien, cette saison je suis enfin allé au Met. Je n’ai pas dû pour cela acheter de billet d’avion pour New York, c’est l’opéra qui a fait le voyage numérique jusqu’à Budapest, et plus concrètement au Palais des Arts (MPÜA), dans une – hélas, petite – salle aménagée en cinéma HD, pour les transmissions digitales haute définition simultanées. On achète le billet pour la soirée Metropolitan, et le miracle arrive chaque fois ponctuellement au bord du Danube. Nous aurons le son simultané de la salle du Met qui nous entourera, l’image du public du Met, la présentatrice du Met sur l’écran – d’ailleurs elle-même l’une des stars de la maison, Susan Graham.

Pour La Damnation de Faust, elle s’est présentée micro en main, en tenue de soirée, pour nous raconter l’action de la „légende dramatique” puis, déjà en costume d’opéra, elle a donné une interview à un reporter improvisé qui n’était autre que le fameux chanteur baryton Thomas Hampson. Il la questionna sur le rôle de Marguerite qu’elle devait chanter quelques minutes plus tard sous la baguette du chef d’orchestre James Levine - en français. Je dois ajouter que le metteur en scène Robert Lepage a utilisé une technique sophistiquée sur la scène, combinant audacieusement les images digitales avec les décors réels, les chanteurs ne voyant rien de l’image digitale projetée sur un écran derrière eux – écran que nous avons pourtant bien vu à Budapest, où cette transmission était complétée du texte hongrois.

C’est ainsi que la mondialisation des biens culturels entre en scène. Déjà le drame de Goethe avait-il inspiré, entre autres, deux chefs-d’œuvre de l’opéra français, le Faust de Gounod et La Damnation de Faust de Berlioz, joués sur toutes les scènes du monde. (Il est cependant vrai que La Damnation reste plutôt une pièce de concert, dont un des épisodes musicaux les plus connus est une marche hongroise, le Rákóczi induló). De nos jours, on met en scène les opéras dans la langue originale du scénario, ces oeuvres sont donc chantées en français par des artistes d’autres nations. Ici l’Italien Marcello Giordano interpréta Faust, et l’américaine Susan Graham, née au Nouveau Mexique, chanta Marguerite : mondialisation de l’interprétation. En plus, nous avons eu la possibilité de décider nous-même si nous préférions lire le texte en anglais ou en hongrois...

Et cette soirée au MÜPA n’était pas une exception. Dans des centaines d’autres salles de cinéma dans le monde entier, aménagées pour ce genre d’émission, les fans d’opéra ont pu écouter et voir simultanément l’oeuvre de Berlioz avec des sous-titrages dans d’autres langues : mondialisation de l’écoute et de l’image simultanée, et même de la langue et de la compréhension.

J’étais ravi d’assister à Budapest, en direct, à la représentation de Thaïs de Massenet et de Docteur Atomic de John Adams. Ce dernier est un opéra de notre époque dans lequel on raconte comment les scientifiques comme Robert Oppenheimer, Edward Teller ou Leo Szilárd libérèrent la force dévastatrice du nucléaire (pour empêcher que les nazis de Hitler puissent conquérir le monde). Et nous avons écouté leurs aires mélodiques évoquant les dilemmes terribles et encore actuels issus de leurs activités scientifiques. J’étais aussi profondément touché par la Salome biblique de Richard Strauss, et j’attends avec impatience Natalie Dessay dans la Sonnambula de Bellini au printemps.

Un nouvel art est né, l’opéra-cinéma digital en direct pour le monde entier, une illusion presque parfaite, agrémentée par les vertus des émissions en direct où les stars sont interpellées juste avant ou après leur performance tout comme les athlètes au bord de la piste. L’opéra fait un pas de géant – digital et démocratique – vers le grand public. Difficile d’imaginer quelque chose de plus parfait. Sauf, bien sûr, d’être vraiment dans une des loges du Met.

 

Catégorie