A Timisoara, la crise n'existe pas

A Timisoara, la crise n'existe pas

Si révolution il y a, cette fois elle ne partira pas de là! Alors que le mouvement contestataire anti-Ceauscescu est né sur les places de Timisoara, déclarée «première ville libre» de Roumanie le 20 décembre 1989, la «cité des roses» semble aujourd'hui étrangement indifférente à la crise qui frappe le pays, ainsi qu'aux frustrations qui en découlent. Aperçu d'une autre Roumanie.

Abritant près de 330.000 habitants en 2009, Timisoara est la capitale de la région Banat, la deuxième ville de Roumanie, et aussi la plus multiculturelle du pays. Une diversité revendiquée qui prend sa source dans l'histoire d'échanges commerciaux et culturels qui ont façonné la région, malgré qu'elle se soit nettement estompée au cours des dernières décennies: Juifs, Allemands, Hongrois et Serbes ont ainsi presque disparu du paysage urbain. Les Eglises catholiques, protestantes et orthodoxes, les synagogues et les imposants édifices austro-hongrois sont néanmoins autant les témoins d'un passé révolu qu'une preuve de l'ouverture de la ville sur le monde. On y compte encore environ 23.000 Hongrois (7,5% de la population), environ 7000 Allemands (2,25%). Étonnamment, les communautés italienne et ukrainienne connaissent une forte augmentation depuis quelques années. Chaque minorité bénéficie de facilités remarquables en matière d'éducation dans sa langue.

La modernité dans les rues

Une tradition d'ouverture d'esprit qui semble propice aux initiatives audacieuses. Ici, on se rappelle avec fierté que Timisoara fut la première ville d'Europe continentale à s'être éclairée à l'électricité dès 1884. Sans surprise, les autorités locales font donc maintenant le pari des hautes technologies, soutenues par un flux continu d'investissements étrangers. Continental AG, Alcatel, le Linde Group ou encore Flextronics sont attirés par une main d'œuvre locale bien formée et à bas coût, malgré un niveau de salaires plus élevé que dans le reste du pays. En conséquence, le taux de chômage était globalement inférieur à 2% au cours des cinq dernières années. A titre de comparaison, il était de 7,6% en Roumanie fin 2009.

Le dynamisme de la ville est entretenu par une réputation européenne confirmée et des réseaux étendus, en particulier avec l'Italie, l'Allemagne et la France. En 2005, L'Expansion qualifiait ainsi Timisoara de «vitrine» du boom économique roumain. Pascal, jeune ingénieur informatique français à Alcatel Lucent, a ainsi profité d'un partenariat au sein de son entreprise pour venir s'installer en Roumanie et achever sa formation professionnelle. A l'entendre, la Roumanie et Timisoara sont des étapes obligatoires en ce qui concerne le développement des nouvelles technologies.

Dans l'immédiat, ce qui captive le visiteur, c'est l'assurance tranquille dont semble jouir la ville. Des autobus et tramways rutilants parcourent des rues propres et longent de grands parcs verdoyants d'où jaillissent des fontaines «sons et lumière». Pour les habitants, la vie est faite de semaines de travail intensives, de weekends festifs et de voyages à effectuer durant l'été. Malgré un certain nombre de problèmes indéniables (détérioration des logements sociaux, pollution, chiens errants) aucun signe de la crise qui ravage la Roumanie depuis quelques mois. D'où une impression déjà ancienne d'être le moteur d'un pays à la traine et gangréné par son héritage communiste. Un sentiment qui se transforme parfois en rancœur de devoir «payer pour les autres» sans trop recevoir en échange.

De l'autre côté du miroir: la Roumanie

Mais quand bien même cela serait vrai, cela ne semble pas suffire à l'ensemble du pays. Plongée dans une récession de -7,1% en 2009, endettée auprès du FMI, de la Banque Mondiale et de l'UE à hauteur de 20 milliards de dollars, l'économie souffre maintenant des réductions drastiques des salaires de la fonction publique qui conduisent à une contraction de la demande domestique. Et à des grèves ponctuelles, bien qu’elles ne prennent pas jusqu'à présent l'ampleur espérée par les syndicats. La grève générale du 31 mai dernier n'a ainsi pas donné lieu à un changement de la politique d'austérité du gouvernement. C'est maintenant la Cour Constitutionelle qui, le 25 juin, a déclaré anticonstitutionnelle la réduction de 15% des pensions de retraités, ce qui pourrait compromettre la validité des réformes majeures que le Parlement entend adopter sous peu. Mais pour certains, sans Timisoara pour donner le ton de la contestation, comme en 1989, la rigueur restera de mise pendant encore longtemps.

Sébastien Gobert

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